Quand l’art philosophe avec la science #1

Ceci n'est "vraiment pas" une pipe. Mais d'où provient cette image ? 
Quand René Magritte réalise son tableau et le nomme "Ceci n'est pas une pipe", il sait qu'il nous interroge sur notre perception, sur notre faculté à distinguer la réalité de la représentation. Platon aurait plus dire savoir différencier le véritable du vraisemblant. En photographie et plus précisément en optique, nous "jouons" avec ces deux notions. En effet, si l'élément que nous photographions est bel et bien réel, véritable, l'image qui en résulte, elle, n'est qu'une représentation, une vraisemblance, une preuve de perversité (cf Photographie, art moyen, sous la direction de P.Bourdieu) de notre imaginaire. 
Alors d'où provient cette image ? 
En optique pour savoir d'où vient et comment se comporte une image projetée, il n'est pas rare de schématiser sa pensée. Prenons au milieu d'une page une droite qui represente l'axe focale. 
Coupons cet axe en deux segments de même longueur. Au centre laissons trôner une lentille convergente (i-e une lentille qui, lorsque les rayons la traversent, les fait converger en un seul point). Lorsque ces rayons proviennent de la gauche, une fois passés par la lentille, ils se convergeront sur le segment de droite en un point donc. Le résultat sera le suivant : l'image reproduite que nous appellerons image vraisemblable sera inversée doublement. Haut-bas et gauche-droite. Elle sera aussi par rapport à l'image d'origine plus grande ou plus petite. 
Mais si l'image vraisemblable est inversée doublement, il ne peut s'agir de l'image du fameux tableau qui, elle n'est pas inversée. Un véritable surréaliste n'aurait-il pas poussé l'accrochage jusqu'à son paroxysme ? Mettre le tableau l'envers. 
Mais alors quelle est cette image d'une pipe qui selon son auteur n'en est pas une ? Notons d'ailleurs que la pipe représentée sur la tableau est bien plus grande qu'une pipe originale. L'interrogation reste entière. Du moins... 
L'optique vole à nouveau au secours de notre cerveau afin de résoudre cette énigme. Une image est dite virtuelle lorsque l'élément original (ici la pipe) envoie des rayons à travers la lentille convergente (ou convexe) et que ces mêmes rayons ne parviennent pas à se croiser. Alors la science qui n'apprécie guère tout ce qui ressemblerait de près comme de loin à une incongruité voire un échec, se dit : "puisque l'image ne se forme pas sur le segment de droite en un point doublement inversé, c'est que l'image vraisemblable existe (ça c'est sûr !) mais ailleurs. Et donc si elle n'est pas devant, c'est qu'elle est derrière. Derrière qui ? Derrière l'image originale. Mais comment est-ce possible ? Prenons le cas connu et intelligible des étoile ayant explosé. Nous vu de la terre nous en percevons encore la lumière alors que si nous pouvions nous rendre à l'endroit exacte où elle se situait, nous ne la trouverions pas (plus). Il en va de même pour l' image de notre pipe. René Magritte fait figurer non pas une image photographique (doublement inversée) mais bel et bien une image virtuelle et qui provient de loin. Ce lointain est son espace cérébral infini. Pour obtenir une image virtuelle, il est donc nécessaire que les rayons convergent non pas devant l'élément (ici et encore toujours la pipe) mais derrière celui-ci. Et plus le point de convergence est éloigné et plus nous nous rapprochons de l'infini (pour les surréalistes et la psyché cela s'appellerait l'inconscient). « Le silence éternel de ces espaces infinis (...) » qui effrayaient Blaise Pascal, ces immensités territoriales étudiées par l'astro-physique sont symbolisés par les artistes et leurs productions virtuelles, sensibles et que le poète P.Reverdy décrivait comme ainsi “une image n'est pas forte parce qu'elle est brutale ou fantastique — mais parce que l'association des idées est lointaine et juste”. 
Nous pouvons (ou pas) affirmer haut et fort, que, Ceci n'est pas une pipe, est l'image virtuelle d'une pipe.